Auteur : Hervé Bredif, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Certains risques appellent des réponses moins classiques
La gestion des risques consiste le plus souvent en un mixte d’approches technico-scientifiques, juridiques et assurentielles ; et cela donne en général des résultats satisfaisants.
Des opérateurs spécialisés, publics et/ou privés, prennent directement en charge la gestion du risque : ils conçoivent et mettent en œuvre une « solution globale », dans l’indifférence et la passivité de la plupart des bénéficiaires potentiels. En d’autres termes, la gestion des risques demeure l’apanage de quelques organismes et responsables compétents, mais ne parvient ni ne recherche vraiment à mobiliser un grand nombre d’acteurs. Quand le sinistre survient pour de bon, deux cas de figure se présentent alors : soit la réponse conçue par quelques-uns s’avère adaptée et, les lamentations une fois passées, chacun regagne son traintrain quotidien ; soit elle se révèle au contraire sous-dimensionnée et la chasse aux déficiences et aux responsabilités bat son plein.
Remarque
Depuis quelques années déjà, l’idée fait son chemin que certains risques – au même titre que certains problèmes globaux – ne peuvent pas vraiment trouver de réponses adaptées si chacun, à son niveau, ne devient pas co-gestionnaire du risque. En fait, la gestion multiacteurs ne se substitue pas aux réponses évoquées précédemment ; elle vise plutôt à les enrichir et à les consolider, en cherchant à étendre l’assise de mobilisation des acteurs susceptibles de prendre part à la gestion du risque et à ses effets déstructurants.
Cependant, passer de quelques opérateurs spécialisés à une multitude d’acteurs impliqués dans la gestion d’un risque ne va pas de soi. Des approches spécifiques s’avèrent indispensables à cette fin.
L’exemple suivant va permettre de mieux cerner le sujet en montrant que des conditions précises sont nécessaires à l’instauration d’une gestion multiacteur des risques.
Un processus engagé par le département des Hauts-de-Seine, visant à réduire la vulnérabilité à l’inondation par l’autonomisation des acteurs.
Remarque
L’inondation demeure le principal risque naturel majeur commun à l’ensemble des huit départements de la région Île-de-France. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics se préparent activement à l’éventualité d’une inondation de type 1910, alors que la date anniversaire de ladite crue centennale se rapproche. Les épisodes catastrophiques de Prague (août 2002) ou, plus récemment, de la Nouvelle Orléans (août 2005) montrent aussi bien la réalité de la menace que la gravité de ses conséquences ; les effets attendus du changement climatique sur l’évolution du régime des pluies en renforceraient même la probabilité d’occurrence.
Suite aux nombreux travaux, exercices de simulation et plans qui visent à « contenir » ce risque naturel majeur pour la capitale française, les pouvoirs publics amorcent un changement significatif.
En effet, les deux grandes lois de 1982 – instituant les plans d’exposition aux risques – et celle de 1987 sur la prévention des risques majeurs consacraient, en plein contexte de décentralisation, le caractère exclusivement régalien de ce champ de préoccupation (Decrop, 2002).
Aujourd’hui, l’État prône une autonomisation des acteurs. Reconnaissant en effet les limites de ses moyens et de la portée de son action en cas d’inondation majeure, les services de l’État arrivent à l’idée que :
« Les acteurs économiques et sociaux doivent, de leur côté, prendre les dispositions nécessaires, afin d'être autonomes au moment de la crue, les moyens publics étant affectés en priorité au secours à personnes. [...] Cette autonomie concerne la sauvegarde de l'outil de travail, la mise en place éventuelle d'équipes d'astreinte pour maintenir la continuité de l'activité et assurer la sécurisation des installations, et la préparation de la reprise d'une activité normale après la décrue. » (Plan de secours spécialisé inondation [PSSI, 2005], établi sous l'égide du Préfet de la zone de défense de Paris, t.1 ; l'intégralité du document, ainsi qu'un diaporama et de nombreuses cartes et photos peuvent être consultés sur le site de la Préfecture de Police de Paris )
Une démarche-pilote impliquant des étudiants de Master 2 de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Ce signal fort envoyé par l’État est à l’origine de la démarche engagée en septembre 2006 par la Direction de l’Eau du Conseil Général des Hauts-de-Seine, avec le soutien méthodologique et opérationnel d’enseignants-chercheurs et d’étudiants de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.
Sa finalité est de réduire les vulnérabilités au risque de crue d’un certain nombre d’établissements appartenant au Conseil Général en favorisant l’appropriation de ce risque et sa gestion, avant, pendant et après la crue, par les responsables et acteurs des établissements exposés (une douzaine d’établissements comprenant collèges, parcs et jardins, crèches…).
Il s’agit en fait de chercher à déployer la chaîne d’autonomisation jusqu’au niveau le plus opérationnel, mais en le faisant de manière méthodique et accompagnée, afin d’identifier les conditions nécessaires à la réussite du processus. Cette initiative du Conseil général des Hauts-de-Seine peut s’interpréter comme l’expérimentation d’une gestion multiacteurs du risque : il s’agit d’observer à une échelle réduite comment réagissent les acteurs, s’ils acceptent de devenir co-gestionnaire du risque inondation et dans l’affirmative, à quelles conditions.
Les grandes étapes de la démarche (illustrées en annexe dans le cas du collège Guy Moquet)
L’enjeu principal de la démarche consiste à faire en sorte que les responsables d’établissement s’approprient le risque inondation et deviennent acteur de sa gestion. La démarche proposée consiste à rencontrer ces derniers et à les inviter à participer à un auto-diagnostic de vulnérabilité de leur établissement au regard du risque inondation ; dans un second temps, un plan d’actions est établi avec l’aide des responsables et acteurs de l’établissement : ce plan distingue ce qui relève de la responsabilité directe des acteurs de l’établissement des actions et mesures souhaitables, mais du ressort de responsables et ou d’organismes se situant à d’autres échelles d’intervention.
Les deux principes sous-jacents à cette approche
1. Sur le sujet de l’inondation, les acteurs et responsables de l’établissement disposent d’une véritable capacité d’expertise.
2. Pour s’approprier le risque inondation et se sentir véritablement investis d’une part de responsabilité dans sa gestion, les acteurs rencontrés doivent être associés au diagnostic de vulnérabilité et à la rédaction du plan d’actions.
Le diagnostic de vulnérabilité, de même que le plan d’actions sont établis conjointement par les responsables et acteurs de l’établissement, aidés des étudiants qui opèrent en quelque sorte comme des facilitateurs de changement, en suivant les étapes suivantes :
• Le site est divisé en « unités fonctionnelles » (cf. annexe) ;
• Rencontre individuelle des différents acteurs et responsables du site, afin que chacun s’exprime librement sur les vulnérabilités à l’inondation propres à chaque unité fonctionnelle, et sur ce qu’il conviendrait de faire pour réduire ces vulnérabilités (propositions d’actions et mesures) ;
• Synthèse/intégration des expertises recueillies par l’équipe d’étudiants pour production d’un diagnostic de vulnérabilité consolidé et partagé, et production d’une échelle de vulnérabilité calée sur l’échelle d'Austerlitz (pour une meilleure appropriation du risque et de ses conséquences possibles et concrètes pour l’établissement concerné) ;
• Constitution d’un plan d’actions discuté en réunion plénière, reprenant les contributions de chaque personne associée à la démarche ;
• Production d’un rapport d’une dizaine de pages reprenant tous ces éléments, mis en circulation auprès des différents acteurs ayant contribué à la démarche et soumis à validation de leur part lors d’une réunion en présence d’un représentant du Conseil Général.
L'ensemble de la démarche a nécessité environ 5 jours de travail par établissement.
Les enseignements de la démarche
1. Contrairement à ce que l’on aurait pu craindre (Dupuy, 2002), la possibilité de la catastrophe (inondation de grande ampleur) n’est pas occultée par les acteurs de terrain. Bien qu’à des degrés variables, ceux-ci montrent une véritable capacité de réflexion stratégique pour 1. Identifier les vulnérabilités de leur établissement à différents scénarios d’inondation ; 2. Imaginer des réponses simples et appropriées pour réduire ces vulnérabilités, avant, pendant et après la crue.
2. L’initiative prise par le Conseil Général des Hauts-de-Seine et le rôle de facilitation joué par les étudiants se sont avérés nécessaires pour que les responsables d’établissement prennent la mesure du risque inondation et réalisent à quelles difficultés potentielles cela les exposait. La plupart des acteurs des établissements ont découvert qu’ils pouvaient être acteurs et qu’il fallait sans doute qu’ils le soient pour limiter les préjudices en cas d’inondation majeure.
3. Au-delà de l’action préventive des établissements, il est apparu que la coordination entre acteurs et différents niveaux de responsabilité était essentielle et largement à construire. Sur plusieurs questions essentielles – continuité dans l’approvisionnement en électricité, maintien des communications internet, information en temps réel sur l’évolution de la crue, remise en état des bâtiments après l’inondation…-, seule une implication conjointe et concertée de plusieurs organismes (conseil général, communautés de communes, opérateur privés comme EDF…) est en mesure d’apporter des réponses satisfaisantes aux difficultés rencontrées par les établissements. C’est dire que la gestion du risque inondation suppose une coopération effective entre acteurs, chacun jouant pleinement son rôle aux différentes échelles où il convient qu’il intervienne.
4. Le grand mérite d’un questionnement en termes d’autonomisation des acteurs réside finalement dans le fait qu’il met l’accent sur la nécessité d’une réponse complexe et multiacteurs face à un risque inondation, lui-même complexe et multiacteurs. Le Conseil Général des Hauts-de-Seine a décidé de généraliser dans les tous prochains mois la démarche de diagnostic partagé aux 180 établissements dont il est le propriétaire. Fort des résultats encourageants de cette expérience-pilote, cherchera-t-il à déployer l’autonomisation plus largement auprès des autres acteurs du département ?