Objectifs
Décrire de quelle manière l'interaction homme / nature a une influence sur la vulnérabilité des milieux naturels.
Auteur : Laurent Simon, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Introduction
Une étude sur le long terme des "milieux naturels" a été développée pour illustrer les problèmes d'épuisement des ressources naturelles, d'érosion de la biodiversité ou de changement climatique : tous ces aspects renvoient en effet à la problématique majeure des conditions écologiques nécessaires à l'épanouissement de la vie sur Terre, au bien-être des hommes et au développement durable des sociétés humaines.
Le "milieu naturel" apparaît plus ou moins vulnérable en fonction des interactions avec les sociétés : pression anthropique déstabillisatrice contre gestion raisonnée. Or, la vulnérabilité (entendue ici comme capacité d'un objet à répondre à une perturbation) des milieux peut influencer fortement le déclenchement d'aléas naturels et augmenter in fine les risques associés.
Les rythmes d'ouverture et de fermeture des paysages naturels (régression ou extension de la forêt, par exemple), sont conditionnés par des paramètres naturels, comme les paramètres climatiques (refroidissement ou réchauffement du climat) , mais aussi par l'impact des actions anthropiques.
Un recul de la forêt correspond à une phase de défrichement conduisant à une recrudescence de l'érosion ; l'abandon des terres agricoles entraîne une reconquête forestière (Pitte, 1983).
Le suivi des fluctuations récentes des formes d'occupation de l'espace en montagne de Lure, montagne provençale (figure ci-après), permet de rendre compte de ces phénomènes qui illustrent le fait que la campagne peut passer par des phases successives de transformation par les sociétés humaines ou au contraire par des phases de déprise aboutissant à une reconquête des milieux naturels.
Les formes d'utilisation du milieu naturel montagnard par les sociétés s'accompagnent donc de formes d'emprise plus ou moins importante sur les espaces naturels.
Localisation de la montagne de Lure
Au même titre que le Ventoux dont elle constitue le prolongement vers l'Est, la montagne de Lure fait partie d'un système de crêtes qui dominent les plateaux provençaux compris entre Durance et Vaucluse. L'originalité de ce chaînon orienté d'Ouest en Est, qui culmine à 1826 m d'altitude, est liée à sa position dominante vis à vis du plateau de Forcalquier et de la vallée de la Durance, entre Provence et Baronnies. Comme toute montagne, cette situation dominante fait de la montagne de Lure un secteur de refuge écologique.
Les fortes variations temporelles de l'occupation de cet espace par les sociétés humaines (Pech et al. 1997) correspondent partiellement aussi à ce rôle de refuge qu'a pu jouer temporairement la montagne de Lure. En d'autres termes, la montagne joue tour à tour un rôle répulsif ou un rôle attractif à l'égard des sociétés humaines ; parallèlement, la forêt régresse ou se développe. En outre, les caractères de l'étagement montagnard ont permis le développement d'une biodiversité, d'ailleurs largement induite par les vicissitudes historiques, et qui a constitué tour à tour un ensemble de ressources, souvent envisagées comme telles dans le cadre de modes d'occupation pour lesquels la montagne était subdivisée en une mosaïque de terroirs aux activités complémentaires, ou des contraintes, entravant l'exploitation du milieu naturel. Ces fluctuations se sont donc traduites par des métamorphoses paysagères.
L'étude de l'évolution de l'utilisation des milieux naturels par les sociétés humaines dans cette montagne méditerranéenne repose sur la prise en compte d'archives, de cadastres et de documents intégrés dans une base de données géoréférencée (un SIG) permettant de distinguer plusieurs phases très inégales, en fonction de l'accès aux sources. Reconstituer les grandes étapes de cette évolution nécessite le recours à de multiples sources d'information..
Pour les périodes les plus anciennes, nous avons utilisé les articles et les travaux existants pour reconstituer les grandes phases de l'anthropisation de ce milieu. Les données les plus anciennes correspondent à des vestiges archéologiques. Il s'agit d'industries lithiques fondées sur l'utilisation des ressources locales, en particulier des gisements de silex, abondants sur le rebord Sud de Lure. Les phases intermédiaires ont pu être reconstituées grâce aux travaux historiques effectués dans la région.
Pour le début du 19e siècle, la carte de Cassini (1781), les cadastres « napoléonien » de 1830, ou encore les archives permettent de se faire une idée relativement précise du paysage de l'époque. Les cadastres récents, les photographies aériennes et les sources statistiques fournissent pour les dernières décennies des informations d'une grande précision. Entre ces deux périodes, l'interprétation est plus délicate. Elle suppose l'utilisation combinée des photographies anciennes, des archives communales, et des différents témoignages écrits qui peuvent encore subsister.
Site de la Montagne de Lure (Durée : 3:53 min)
La montagne de Lure se trouve à cheval sur deux cartes de Cassini mais l'essentiel du secteur qui nous intéresse est situé sur la carte de Digne. La carte de Cassini a été élaborée en 1781. Les cadastres napoléoniens de Saint Etienne les Orgues et de Noyers sur Jabron ont été élaborés en 1836-1837. La carte d'Etat Major au 1/80 000 a été dressée entre 1870 et 1889. Les cartes topographiques de l'IGN au 1/50 000 datent des années 1920, 1950, 1974. En revanche, nous déterminons les indices spatiaux à partir des photos aériennes. La plus ancienne date de 1948 et nous avons accès aux années 1956, 1970, 1997 et 2000.
L'objectif de ce travail est de reconstituer quelle a pu être l'évolution de l'
anthropisation
, montrant par là combien la nature, telle qu'elle se donne à voir actuellement, résulte en fait d'une histoire fortement influencée par l'impact des sociétés humaines.
Nous proposons une chronologie de l'occupation de l'espace rural de la montagne de Lure qui semble correspondre à une sorte de modèle d'évolution des montagnes méditerranéennes françaises. Cette étude aboutit à la formulation de quelques schémas de types de relations entre les sociétés humaines et les milieux naturels.