Auteur : Etienne Cossart, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
L’exploitation de données historiques est souvent nécessaire pour étendre la connaissance du risque. Elle permet d’offrir une profondeur historique, parfois sur plusieurs siècles, en vue de mieux inventorier les secteurs régulièrement menacés par des aléas ou de mieux comprendre l’évolution des enjeux.
Les documents d’archives ne sont que très rarement objectifs. Les catastrophes naturelles peuvent être à la fois sur- ou sous-estimées.
Exemple
Dans certaines zones de montagnes (Alpes du Briançonnais, Dauphiné…) les catastrophes naturelles n’émouvaient pas les populations locales jusqu’à un passé proche (milieu du vingtième siècle). Habituées à composer avec les aléas, les populations modifiaient leurs habitudes de vie quelques temps, transmettant une culture du risque de génération en génération.
Une route coupée par une avalanche en hiver était un événement classique, que les populations avaient pris l’habitude de gérer en circulant à l’aide de moyens légers (en raquettes ou dans un passé moins lointain à peau de phoques).
Des événements aussi banaux étaient donc intégrés dans une culture locale du risque, mais ils n’étaient ni décrits ni inventoriés dans des documents officiels. Dans ce cas il y a sous-estimation des catastrophes dans les archives
A l’inverse, la lecture de chroniques historiques montre que les auteurs avaient souvent recours à un vocabulaire emphatique qui, sans forcément exagérer les dommages causés, confère un aspect catastrophique à un événement donné. Il ne faut pas oublier que les documents recueillis dans les archives avaient souvent pour objet de faire pression sur une administration pour obtenir un dédommagement ou la création de mesures de protection / prévention.
Exemple
Un texte de Jean Giono (« Batailles dans la montagne ») est un bon exemple de description personnelle, littéraire et subjective d’une lave torrentielle.
« La terre est comme du lard. Les forêts se replient dans la terre. L’eau fume le long du rocher. Les pierres coulent comme des fontaines... La maison était comme une barrique sur un bassin ; elle dansait et il semblait qu'elle tournait, elle s'enfonçait, elle remontait. ».
Il faut alors retranscrire le texte en langage scientifique. Dans le cas présent, il s’agit en fait d’une description des torrents de l'Ebron, réalimentés sans cesse en matériaux par les escarpements détritiques soutenant le Grand Ferrand pour constituer des laves torrentielles dévastatrices…
On peut citer les descriptions de dégâts, associées aux nombreuses lamentations et doléances de forestiers lors d’inondations catastrophiques de 1840 dans le Midi, de 1841 dans le Gard, de 1842 dans toute la France et de 1846 dans la Loire.
La récurrence du vocabulaire catastrophiste avait pour objet de faire pression sur le gouvernement pour étudier un projet de loi sur le reboisement. Il y a alors surestimation des catastrophes dans les archives.
Méthode
Le chargé d'étude devra pour reconstituer l’histoire des catastrophes :
- consulter les archives administratives, les chroniques locales, en ayant conscience d’une possible exagération des événements,
- faire appel à la connaissance des élus, comme celle des habitants, afin de trouver trace d’événements considérés comme banaux et donc non mentionnés dans des archives.
L’histoire des risques peut se découper en 3 aspects :
- La représentation des risques doit être appréhendée au cours de périodes passées. Il faut comprendre comment les phénomènes naturels et leurs manifestions catastrophiques étaient interprétées par les populations locales. La connaissance du contexte culturel des événements est alors indispensable pour juger la qualité des informations recueillies, bien souvent biaisées par l’anthropocentrisme des témoignages.
- L’histoire de l’aménagement d’un territoire est indispensable. Elle permet de retracer l’évolution des infrastructures. Bien qu’elle relègue au second plan les problèmes associés aux phénomènes naturels, elle permet d’évaluer les enjeux passés et de comprendre comment la population se protégeait / prévenait un aléa. On pourra rechercher des textes relatant des opérations d’entretien d’un cours d’eau, d’un versant…
- L’histoire des crises d’origine naturelle doit être reconstituée. Elle suppose souvent le dépouillement de listes de dommages causés par un aléa. Il faut notamment extraire les informations les plus objectives, quantitatives, concernant l’événement, en se méfiant du lyrisme de l’auteur qui a rédigé la note.
La part de l’information historique au sein des études de risques est fluctuante. Nous incitons donc le chargé d’étude à construire une grille de lecture pour chaque type d’événement afin d’extraire les informations objectives.
Exemple
Connaissance des crues d’un fleuve
L’utilisation des données d’archives passe par le recueil et la critique des données, en rejetant les informations subjectives. On cherche à reconstituer des crues extrêmes en étudiant les événements les plus significatifs. Il s’agit alors de reconstituer :
- l’extension des zones inondées
- les hauteurs d’eau, et de les convertir en débit.
Exemple de synthèse réalisée à partir de document d'archives : spatialisation de l'extension de crues passées (Vallée de Freissinnières, Hautes-Alpes)
Exemple
Connaissance des avalanches
Les avalanches ont longtemps été un phénomène considéré comme banal. Il faut donc coupler les documents d’archives avec des enquêtes de terrain ou rechercher dans la toponymie les secteurs avalancheux (Les Lanches, Le Lavancher…). Pour les événements recensés, rechercher les descriptions objectives :
- type d’avalanche (neige lourde, poudreuse…)
- périmètre d’extension
- zone de départ.
Exemple d'interprétation de photographies d'archives
Exemple d'interprétation de photographies d'archives
Les clichés obliques s’accompagnent fréquemment de quelques annotations textuelles qui permettent de retracer la succession des événements. Dans le cas présent, les avalanches de l’hiver précédant l’événement torrentiel ont été répertoriées « grâce » aux dommages occasionnés à la forêt et aux sentiers d’exploitation. Les arbres couchés nous permettent de reconstituer son ancien passage.
Méthode
La contribution première des informations historiques à l’analyse des risques s’inscrit à la fois dans une meilleure connaissance de la vulnérabilité des espaces (évaluation des enjeux) et des fréquences de survenance des phénomènes (aléas). Cette intégration doit notamment prendre en compte la précision et la crédibilité des informations en les replaçant dans le contexte des événements relatés.