Les résultats du SIG quant à la variabilité temporelle et l'hétérogénéité du territoire face au risque sont les suivants :
La distinction selon la saison :
Une première distinction fondamentale doit être opérée dans cette analyse, à savoir d’un côté les évènements de saison froide et de l’autre, ceux de saison chaude.
Les saisons correspondent à des manifestations du vent d’origines et de tailles différentes. Si la tempête est caractéristique de la saison froide, l’orage semble être prépondérant en saison chaude : ce qui n’interdit pas au tonnerre de gronder même en plein hiver. Les « coups de vent », analysés par des marqueurs indirects, dépendent de la variabilité temporelle de l’aléa.
Rappel
Échelles des processus atmosphériques générant des vents forts
Mais le risque ne peut être étudié uniquement par le biais de l’aléa. Il est aussi nécessaire de s’interroger sur l’évolution des vulnérabilités régionales. Celles-ci sont soumises aux changements des modes de gestions forestières et/ou des types de construction par exemple.
Des périodes plus favorables ?
La chronologie montre des fréquences variables de coups de vent. Ces variations concernent aussi bien les événements de saison chaude que ceux de saison froide.
Un tri dans la chronologie permet de mettre en évidence ces deux « moments » de l’année. En établissant des périodes calquées sur les découpages de périodes sylvicoles (avant 1600, 1601-1800, 1801-1914, 1915-2004), il est possible de visualiser par le prisme de la chronologie les variabilités intra annuelles tout comme les variabilités inter périodes des épisodes venteux.
Nombre de coups de vents mensuels par périodes selon la chronologie
Pour la période « anté- 1600 », la fréquence moyenne mensuelle se situe entre deux et trois événements par an (2,08). L’absence de données sur certains mois fait baisser la moyenne. De ce fait, il n’est pas évident de déterminer des pics d’activités distincts.
En revanche, pour la période 1601-1800, la moyenne mensuelle de 9,5 permet d’entrevoir des pics d’activité venteuse : décembre à février (hiver) puis juin à août (été).
Les périodes 1801-1914 et 1915-2004 répondent au même schéma : janvier - février et juillet - août concentrent les coups de vent. Néanmoins, une distinction apparaît. Lors de la première période, les phénomènes estivaux sont plus nombreux tandis que c’est l’inverse pour la seconde. Si les temporalités forestières expliquent, pour une part, des périodes de vulnérabilités différentes, des alternances concernant les caractères climatiques des saisons se dessinent.
Des périodes plus orageuses et des périodes plus tempétueuses semblent se succéder.
L’Histoire du climat depuis l’an mil, de même que l’Histoire humaine et comparée du climat (Le Roy Ladurie) ne fait aucune mention de « coups de vent ». Cependant à partir des caractéristiques thermiques des étés et des hivers il est possible de « reconstituer » la fréquence des deux types de coups de vent. La forte chaleur estivale est à l’origine des convections génératrices d’orages : des étés chauds seront donc des étés orageux. De la même manière, des hivers froids et secs traduisent des flux méridiens majoritaires : l’activité tempétueuse y est plus faible, puisque les vents d’ouest sont alors moins fréquents. A l’inverse, des hivers doux témoignent d’une circulation d’ouest active et est donc propice aux tempêtes atlantiques.
Grâce aux ambiances thermiques différentes des saisons extrêmes, telles que décrites par Le Roy Ladurie, un découpage par rapport aux origines des coups de vent lors des cinq siècles de la chronologie est possible.
Ambiances thermiques des étés et des hivers
Une période globalement froide débute avec le XVIIe siècle et dure jusqu’en 1860. Elle est suivie d’un réchauffement progressif. La chronologie débute après l’Optimum Médiéval. Elle couvre l’ensemble du Petit Age de Glace (PAG), qui est marqué par un net refroidissement hivernal, une pluviométrie soutenue et un léger rafraîchissement estival. La variabilité interannuelle du climat tempéré demeure. Ainsi les étés caniculaires et donc meurtriers de 1719, 1779 suivent ou précèdent de grands hivers (1693-94, 1709, 1815-16).
Au cours des quatre siècles du PAG, huit périodes successives peuvent être identifiées dont deux particulièrement froides (1645-1709 et 1815-1860).
En ce qui concerne les coups de vent, un léger réchauffement estival favorise la genèse de phénomènes orageux : par exemple les années 1720-1730 en Franche-Comté, bien documentées dans la chronologie du GHFF.
Quant aux hivers plus arrosés, et ils sont nombreux, ils ont favorisé les chablis par suite de sols gorgés d’eau. Si bien que les périodes les plus froides sont celles ayant connu le moins de « coups de vent » : « seulement » un tous les deux ans (Tableau suivant).
A la sortie du PAG, leur fréquence double, comme c’est le cas actuellement.
Nombre de coups de vents par saisons et par périodes
Les coups de vent d’été sont plus nombreux dans la chronologie que les tempêtes d’hiver.
Sans doute leur origine explique-t-elle cette « surestimation ». En effet, lorsqu’un type de temps orageux s’installe plusieurs jours durant, il va générer des orages localisés, disjoints dans l’espace, les facteurs microclimatiques étant importants dans le déclenchement de ces phénomènes.
Le nombre de destructions mentionnées dans la chronologie sera donc nettement plus grand que pour une perturbation d’ouest dont les effets sont plus continus dans l’espace et donc comptabilisé comme un événement unique. Les phénomènes d’été a priori annuellement majoritaires sont supplantés dans les trente dernières années par les phénomènes d’hiver et ce, alors que le climat se radoucit.
La baisse de fréquence des tempêtes hivernales au cours de la période 1931-70, souligne l’imbrication des cycles du climat à nos latitudes : à l’intérieur d’un cycle solaire de 250-300 ans qui explique l’ensemble du PAG et la période « chaude » qui a débuté vers 1861, des cycles d’une trentaine d’années apparaissent.
Ils font alterner deux types de périodes:
- D’une part, des périodes à hivers plus froids, anticycloniques et peu venteux qui déportent les perturbations atlantiques vers l’extrême Nord-Ouest de l’Europe.
- D’autre part des périodes à hivers doux où le rail atlantique des tempêtes aboutit en Bretagne ! Cette alternance est appelée Oscillation Nord-Atlantique (ONA).
Ainsi, la variation de l’aléa venteux semble-t-elle répondre à des variabilités climatiques naturelles. Mais, les régions ne sont pas toutes également exposées aux coups de vents, de saison froide comme de saison chaude. Cette vulnérabilité aux évènements venteux évolue dans l’espace et dans le temps.
Des vulnérabilités régionales différentes en saison froide et en saison chaude
La cartographie des coups de vents par saison éclaire cette hétérogénéité spatiale (figure suivante).
En effet, en hiver un gradient nord-ouest/sud-est traduit l’éloignement par rapport au rail des tempêtes. A distance identique de l’Atlantique, plus la région est boisée plus le département est fréquemment touché (tel est le cas des Landes). La situation de risque élevé sur le pourtour méditerranéen elle s’explique par les vents régionaux très violents comme le Mistral et la Tramontane.
Quant au risque estival il ne concerne pas les mêmes régions. Se distinguent à cette saison (hormis le sud-ouest) la France de l’Est. Le climat plus continentalisé est plus chaud en été, donc plus orageux.
De plus, les reliefs sont eux aussi propice aux orages car l’ascension orographique des masses d’air accentue les phénomènes convectifs à l’origine des orages. Et comme le plus souvent ils sont boisés, ces régions sont très vulnérables.
Par ailleurs, à l’échelle topoclimatique, les volumes de relief créent des canalisations du vent, des effets Venturi… A l’échelle de la parcelle ou du massif forestier, le mode de gestion (taillis, futaie), la densité des peuplements, le type de peuplement (feuillus, résineux) deviennent déterminants sur le risque. Les facteurs explicatifs de la vulnérabilité des forêts sont nombreux alors que le bâti se caractérise par une plus grande homogénéité. Mais l’exposition à l’aléa reste prépondérante dans l’analyse du risque.
Le risque lié aux coups de vent en France hiver/été de 1400 à 2000
Une période contemporaine de risque d’intensité inédite ?
Les médias, à la suite des tempêtes de 1999, ont insisté sur le caractère inédit de l’événement et son lien possible avec le réchauffement contemporain.
Le premier enseignement de ce travail fondé sur l’analyse de la chronologie est, en accord avec les résultats de climatologues, que l’augmentation de la fréquence des tempêtes n’est pas réellement prouvée même si les 30 dernières années ont certes connu un regain d’activité tempétueuse.
Si « l’impression » de risque accru face aux coups de vent s’est généralisée dans l’opinion, ce n’est que l’expression d’une vulnérabilité plus élevée et/ou d’une intolérance croissante face à l’aléa météorologique. En effet, il faut le rappeler, la France n’a jamais été aussi boisée depuis les grands défrichements des XIIe et XIIIe siècles. De même, la population française a presque triplé depuis la Révolution de 1789, les constructions sont donc bien plus nombreuses. La chronologie montre que le risque était au moins aussi important durant les périodes 1710-1814 et 1861-1930.
Pour nous résumer (Tableau suivant), chacune des périodes des cinq siècles considérés doit être regardée en fonction du nombre de coups de vent (l’aléa), de la superficie et la gestion de la forêt, de la conjoncture économique et des conflits (la vulnérablité).
Le risque n’est maximal que lors du croisement d’une période de fort aléa et de vulnérabilité élevée. Cependant, les vulnérabilités ont changé et même si l’aléa reste identique en fréquence et intensité, le risque a de ce fait évolué.
Ainsi 1710-1814 et 1971 à nos jours sont deux périodes avec un niveau de risque très élevé. Mais le risque est différent dans les deux cas. Lors de la première période, faite de disettes et de révolutions, toute la population et surtout les plus pauvres sont concernés. Depuis 1971, le risque touche principalement les forestiers, puisque les biens immobiliers sont généralement bien assurés et que le niveau de développement du pays est très élevé
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Evaluation du risque sur la période d'étude
Autre question lancinante : la France a-t-elle déjà connu des tempêtes comparables à Lothar et Martin durant son histoire ?
Depuis le XVIIe siècle, plusieurs grandes tempêtes s’apparentent aux événements des 26 et 27 décembre 1999 tant par les surfaces affectées que par l’importance des destructions occasionnées (tableau suivant)
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Les grandes tempêtes depuis le XVIIe siècle
Explication
Lothar a touché entre le tiers et la moitié des communes métropolitaines. Leur nombre est comparable en 1876, dans une France à son maximum démographique dans les campagnes beaucoup moins forestières qu’aujourd’hui mais au bâti sans doute plus vulnérable.
La tempête de 1876 a suivi une trajectoire légèrement plus septentrionale que Lothar, mais son intensité devait être très similaire. Ce que les français de la fin du XXe siècle ont vécu n’est donc pas inédit.
Exemple
Variabilité spatiale des coups de vent en saison chaude
Variabilité spatiale des mentions de destruction en saison froide
En savoir plus
Dans l’avenir, à l’échelle de l’Europe, il conviendra de confronter cette chronologie française avec celles établies par H. Lamb pour la Grande Bretagne et par N. Schoenenwald, J. Sweeney et H. Hickey pour l’Irlande sur une période à peu près identique. Cette comparaison permettra d’établir avec certitude les périodicités des migrations latitudinales du rail atlantique des tempêtes qui affectent l’Europe du nord-ouest.
A l’échelle de la France, il conviendra d’affiner l’analyse des vulnérabilités à échelle plus fine en intégrant par exemple les couloirs de vent liés à la topographie, les sols, etc. Des recherches sur les perceptions et les représentations pourraient enfin permettre de préciser le risque tempête dans la France de l’intérieur des terres…