Auteur : Chrystèle Verati, Université de Nice Sophia-Antipolis.
Depuis l’an 1000, on comptabilise au total près de 300 000 victimes des phénomènes volcaniques.
L’éruption en 1902 de la Montagne Pelée en Martinique constitue avec ces 29 000 morts le premier désastre humain du 20ème siècle.
L’éruption de 1902 en Martinique est donc tristement célèbre : la première nuée ardente (ou coulée pyroclastique) du 8 mai détruisit entièrement la ville de St. Pierre (cf. Fig. ci-dessous), les suivantes dont les plus importantes ont eu lieu les 20 mai, 26 mai, 6 juin et 30 août ont accru le nombre de victimes.
Saint-Pierre après la nuée ardente de mai 1902
Si, depuis cet épisode tragique, la Martinique n’a plus connu de crise volcanique majeure, c’est un autre volcan des Antilles, la Soufrière de Guadeloupe, qui a commencé à faire parler de lui dans la moitié des années 1970. La montagne Pelée de Martinique et la Soufrière de Guadeloupe sont des volcans très semblables en terme d’aléas volcaniques, sachant que les processus géologiques à l’origine de leur formation et de leur évolution sont les mêmes.
Nous aborderons essentiellement l’étude du cas de la Soufrière.
Complément
Le volcan de la Soufrière de l'île de la Guadeloupe est un stratovolcan culminant à 1467 m d'altitude. Il est le volcan le plus haut des Petites Antilles.
L’histoire volcanique de l’île de Guadeloupe se concentre sur la Basse-Terre, partie occidentale de l’île. Les témoins des manifestations volcaniques les plus anciennes se localisent au Nord de la Basse-Terre et ont un âge aux alentours de 3 Ma. L’activité actuelle pour laquelle l’aléa est le plus fort se situe sur le massif actif de la Grande Découverte-Soufrière.
Répartition des sept formations volcaniques sur la Basse-Terre et âges de ces formations
Les formations volcaniques depuis 3 Ma que l’on peut observer à l’affleurement en Guadeloupe témoignent de plusieurs dynamismes éruptifs, dont certains, s'ils se reproduisaient aujourd’hui, constitueraient un très fort risque pour les habitants de la Basse-Terre.
Définition
Lien à consulter :
Les styles éruptifs.
L’aléa volcanique actuel en Guadeloupe se concentre sur le massif de la Grande Découverte avec comme point actif le volcan de la Soufrière. Ce volcan est, en l’état des connaissances actuelles, le seul volcan actif de Guadeloupe : ses dernières éruptions datent de moins de 10 000 ans. Son activité est aujourd’hui en état de repos éruptif et est marquée par des fumerolles, des vapeurs sulfureuses et des sources chaudes sur différents points du sommet.
Le complexe volcanique de la Grande Découverte – Soufrière est cependant en activité depuis 200 000 ans environ. Depuis 200 000 ans, plusieurs types d’éruption volcanique se sont succédés.
LES EVENEMENTS VOLCANIQUES ERUPTIFS IDENTIFIES DEPUIS 150 000 ANS SUR LE COMPLEXE GRANDE DECOUVERTE - SOUFRIERE :
Légende : VEI = Volcanic Explosivity Index
Crédits : compilé et adapté de Komorowski 2005.
Une reconstitution plus précise de l'activité passée du volcan permet de définir plusieurs grands types d'éruptions qui pourraient avoir lieu dans le futur.
Rappel
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Conséquences d'une activité volcanique
Les éruptions les plus fréquentes du volcan de la Soufrière depuis 500 ans sont les éruptions phréatiques (fig. ci-contre) qui génèrent essentiellement des retombées de cendres et de blocs à proximité du volcan, associées à des coulées de boues dans les vallées.
Elles ont une récurrence estimée tous les 20 à 50 ans.
La dernière phase d’éruption s'est produite en 1976-1977. Elle a duré huit mois, et a libéré 26 explosions phréatiques.
La première s’est produite le 8 juillet 1976 bien avant l’évacuation totale des populations de la Basse-Terre ordonnée le 15 août. Cette explosion projeta un panache de blocs et de cendres, estimé à 100 000 tonnes de matériaux rocheux, qui se dispersèrent sur des dizaines de kilomètres carrés. Les communes de Saint-Claude et de Basse-Terre furent plongées dans le noir. L’évacuation dura jusqu'au 18 novembre 1976 et aura des répercussions socio-économiques désastreuses.
Remarque
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Eruption phréatique ou phréatomagmatique
Sur les derniers 10 000 ans, les évènements éruptifs les plus fréquents ont été ceux accompagnés par des déstabilisations gravitaires des flancs des volcans. Ces évènements ont été identifiés par des affleurements d’avalanches de débris dont certains ont été datés précisément : à 3100, 8400, 11 500 BP. Tous auraient pu générer des tsunamis (fig. suivante).
CARTE GEOLOGIQUE MONTRANT LES DIFFERENTES PHASES VOLCANIQUES DU COMPLEXE GRANDE DECOUVERTE - SOUFRIERE DEPUIS 150 000 ANS.
Légende : les flèches rouges montrent les directions des dernières avalanches de débris (il y a 3100 ans). Les autres flèches montrent la direction des grands écroulements de flancs (avalanches de débris) qui se sont produits durant les derniers 10 000 ans
Crédits : figure adaptée (traduction) d’après Komorovski, 2001.
Ces phases d’instabilité mécanique semblent être corrélées avec des éruptions magmatiques, probablement à dôme, bien que plus de données soient nécessaires pour répertorier plus complètement les différents épisodes d’activité volcanique, en particulier les évènements pyroclastiques explosifs (exemple : éruption cataclysmique d’il y a 42 000 ans). La fréquence de ce type d’aléa couplé (déstabilisation + éruption) peut être estimée à environ 1 tous les 500-700 ans. C’est pourquoi des recherches ayant pour objectif d’évaluer les prédispositions à l’instabilité gravitaire des flancs sur la Basse-Terre ont été récemment lancées (
Chantier Antilles - INSU
).
Des études géophysiques récentes (Nicollin et al., 2006) ont permis d’imager la partie interne superficielle du dôme. Ces données mettent bien en évidence des zones particulièrement altérées (notamment au sud-est du dôme), ainsi que les failles, dans un milieu qui parait assez homogène. Les variations observées de résistivité électrique locales peuvent être corrélées avec la lithologie, en particulier l’intensité des circulations hydrothermales (fig. suivante).
Imagerie tomographique électrique du dôme de la Soufrière
En terme d’aléa, la fracturation et l’altération hydrothermale dans la partie sommitale du volcan pourraient favoriser des écroulements de grande ampleur en cas d’éruption, même sans apport en surface de magma ( =éruption phréatique).
Remarque
Dans l’histoire du volcan guadeloupéen, plusieurs éruptions cataclysmiques de type Saint Helens ont été identifiées : une il y a 42 000 ans et la plus récente il y a 3100 ans. Des phases plus effusives (coulées de lave seulement) ont été aussi mises en évidence : une importante vers 23 000 ans et l’autre il y a 140 000 ans.
Définition
Les éruptions cataclysmiques historiques sont représentées par des coulées pyroclastiques ou nuées ardentes. Ce sont des nuages de gaz brûlant transportant des blocs et des cendres en suspension qui déferle à grande vitesse (200 à 600 km/h) sur les versants du volcan, à haute température (100-500°C). Ce type d’éruption est à l’origine de la destruction totale de villes : Pompéi en 79 et Saint-Pierre (Martinique) en 1902.
Les phénomènes enregistrés d’après l’observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe ces dernières années sur la Soufrière sont essentiellement :
• un niveau de sismicité moyen, de faible énergie et toujours superficiel ;
• de fortes émanations de gaz au sommet, notamment de l’hydrogène sulfuré et de l’acide chlorhydrique ;
• des sources chaudes de composition chimique stable mais dont la température augmente lentement ;
• pas de déformations significatives de l’édifice ;
• pas de mouvements de masse ou de changement de densité du magma.
Remarque
Lien à consulter :
Un aléa fort : les émanations de gaz
Concernant la gestion du risque volcanique, la prévention passe donc par la connaissance précise de l’histoire éruptive du volcan (ce qui a été réalisé pour la Guadeloupe (Fig. " Carte géologique montrant les différences phases volcaniques du complexe Grande Découverte – Soufrière depuis 150 000 ans " et tableau " Les évènements volcaniques éruptifs identifiés depuis 150 000 ans sur le complexe Grande Découverte - Soufrière ") et par la connaissance de son état actuel rhéologique (stabilité mécanique du volcan en 3D, fig." Imagerie tomographique électrique du dôme de la Soufrière "). On peut alors identifier les manifestations éruptives susceptibles de se produire, dans le temps et dans l’espace et d’évaluer leur impact sur le territoire guadeloupéen. Les cartes d’aléas volcaniques établies sur la Basse-Terre prennent donc en compte l’activité passée de ce volcan sur ses 200 000 dernières années ainsi que les répercussions géographiques associées (étendues des coulées, des retombées aériennes, des coulées pyroclastiques, des écroulements importants des flancs).
Cartographie de l'aléa volcanique en fonction de plusieurs scénarii éruptifs.
Cartographie de l'aléa volcanique en fonction de plusieurs scenarii éruptifs
Tous les scénarii se basent sur une activité centrée encore sur le dôme actuel de la Soufrière.
Les scénarii servant à la cartographie de l’aléa volcanique ne prennent pas en compte pour l’instant les éventuels tsunamis qui pourraient être générés par l’activité volcanique en recrudescence de l’île de Montserrat depuis 1995 (île localisée au nord-est de la Guadeloupe à une distance de 80 km).
Zonation générale de l'aléa volcanique pour les communes des îles de Guadeloupe selon plusieurs types d'éruption qui se sont déjà produites depuis 200 000 ans.
De 70 000 à 75 000 personnes sont aujourd’hui menacées par l’activité de la Soufrière de Guadeloupe.
Les risques sont dans l’ensemble de nature semblable à ceux de la Montagne Pelée en Martinique. Seul le Sud de la Basse-Terre proprement dite est concerné par ce risque, et suivant le type d’éruption, les différentes zones ne seront pas touchées par les mêmes effets.
Selon les diverses cartes d’aléa volcanique émises par le BRGM et l’IPGP, les communes sur la moitié sud de la Basse-Terre à savoir Saint-Claude, Gourbeyre, Baillif, Basse-Terre, Capesterre, Petit-Bourg, Vieux-Fort, Trois-Rivières, Goyave, Bouillante et Vieux-Habitants sont les plus exposées (fig.ci-contre).
Aujourd’hui, concernant la protection des populations contre la menace volcanique, le seul moyen efficace est l’évacuation vers une zone hors d’atteinte.
Par contre, la protection des biens face à un volcan qui se réveille n’est pas réaliste.
L'étude en temps réel de l'activité d'un volcan peut permettre de prévenir l'arrivée d'une nouvelle éruption, et ainsi préparer l'évacuation de la population. Une éruption volcanique est précédée de plusieurs signes annonciateurs, notamment de séismes de faible magnitude (tremors) au sein de l'édifice volcanique.
L'évolution d'autres paramètres géophysiques et géochimiques, ainsi que la déformation du volcan (augmentation de température, nature des gaz émis, gonflement du volcan, etc...) peuvent également être annonciatrices de l'imminence d'une éruption phréatique) et/ou magmatique, voire d’un effondrement gravitaire des flancs du volcan.
Différents niveaux d’alerte sur l’activité de la Soufrière ont été établis par les équipes de l’OVSG – IPGP (tab. ci-dessous).
Définition des niveaux d'activité volcanique pour la Soufrière de Guadeloupe.
La définition de ces niveaux d’activité est basée sur des principaux scénarii possibles d’une crise volcanique en Guadeloupe, qui prend en compte les possibles enchaînements des aléas dans le temps ainsi que la probabilité d’occurrence de ces aléas. Depuis maintenant une dizaine d’année, la connaissance accrue sur le comportement de l'activité de la Soufrière ainsi que la densification du réseau de surveillance modifie fortement l'approche opérationnelle actuelle de celle effective durant la dernière crise en 1976.
Sur la figure suivante, le scénario le plus probable qui est présenté est celui pour lequel il n’y a pas d’arrivée de magma juvénile (cas de la crise de 1976-1977), mais seulement des éruptions phréatiques (scénarii de 1 à 3).
Des scénarii éruptifs en liaison avec les niveaux d'alerte.
Le reste des aléas relatifs à l’arrivée de magma nouveau (scénarii 4 à 9) sont représentés dans la figure qui suit.
DES SCENARII ERUPTIFS EN LIAISON AVEC LES NIVEAUX D'ALERTE :
Commentaires : sur cette figure sont présentés des scénarii où l’activité volcanique est magmatique à plusieurs degrés de VEI
Crédits : figure adaptée à partir de la figure de OVSG-IPGP disponible sur le site internet de la
Préfecture de Guadeloupe
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Les scénarios d'éruptions volcanique
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L’évacuation partielle ou totale n'est que le cas de figure le plus extrême des scénarii (en rouge sur les figures précédentes). Pour voir les plans d’évacuation en fonction des scénarii, consulter le site internet de la Préfecture de Guadeloupe : Les mesures prises.
Aujourd’hui sur le territoire guadeloupéen, seules quelques communes ont débuté leur plan de prévention des risques naturels (PPRN,
Plans de Prévention des Risques
). La cartographie du risque aux Antilles n’est pas malheureusement encore disponible car elle est en cours d’élaboration à l’adresse
Prim.net - Cartorisque
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