Leçon 6 - Les territoires de l'immigration au XX° siècle

3.4. Le film de cité, témoin de l'enfermement dans les quartiers

Depuis les années 1980, les médias, et surtout la télévision font percevoir au travers du filtre des cités de banlieue les problèmes du chômage, de la drogue, de l'immigration et de la violence urbaine. La politique de la ville, tournée en priorité depuis 1981 vers les cités d'habitat social en difficulté, fait entrer la banlieue dans le champ des politiques publiques. Le film de banlieue apparaît dans ce contexte, dans un pays où elle est depuis les années 1930 la métaphore spatiale du malheur social. Ce genre en gestation, malgré son absence d'unité esthétique, a construit une représentation puissante des banlieues populaires contemporaines. De nouveaux metteurs en scène issus de l'immigration maghrébine filment leur quartier et inventent ainsi le film de cité, souvent produit au départ dans des circuits associatifs.

Immigrés et français, mais tous chômeurs, prostituées, drogués ou alcooliques peuplent Courbevoie et Gennevilliers dans Le thé au harem d'Archimède (Mehdi Charef 1985), qui annonce le genre. Hexagone en marque l'avènement. Tourné par Malik Chibane dans sa cité, le film ose narrer les aventures d'un héros beur et chômeur aux Grandes Bornes de Goussainville, avec les archétypes des deux frères antagonistes et des amours contrariées ou impossibles au pied des barres et des tours. Le filmage donne le point de vue des jeunes de la cité, vision interne et non plus en surplomb. Douce France 1995, Nés quelque part 1997, du même auteur, défendent dans la même veine la cohabitation et l'intégration.

Le trio improbable de La Haine (Mathieu Kassovitz 1995) - un juif, un noir, un arabe - se balade entre Grigny et Paris, et le spectateur se demande lequel des trois va périr de mort violente.

Une mort annoncée attend Kamel (Rabah Ameur-Zaïmèche ) condamné à une double peine et revenu clandestinement se terrer dans les immeubles déglingués des Bosquets à Montfermeil. Le triptyque tragique, Wesh Wesh, qu'est-ce qui se passe ?, (2002), Bled number one (2005), et Dernier maquis (2008) montre que ni la cité, ni le retour au bled n'offrent de place aux jeunes beurs, relecture radicale des blocages post-coloniaux de la société française.

L'esquive (Abdellatif Kechiche 2004) tourné dans le quartier du Franc Moisin à Saint Denis avec des jeunes acteurs non professionnels raconte une histoire d'amour entre adolescents qui apprennent à jouer Marivaux au collège. Nouveauté qui a fait le succès du film, le jeu social et amoureux y est dominé par les filles (voir le personnage joué par Sarah Forestier), alors que pointe dans l'opinion le thème de l'enfermement des filles des cités sous la pression de l'Islam radical.

Dans la vidéo ci-dessous, Annie Fourcaut, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris1 Panthéon Sorbonne rappelle que le théâtre de plein air du Franc Moisin est l'un des lieux de tournage du film d'Abdellatif Kechiche L'esquive (2004), mai 2012. Cette vidéo tournée sur le site, montre un des lieux du tournage du film d'Abdellatif Kechiche L'esquive (2004) ; dans ce film de fiction, des collégiens d'une cité HLM jouent des extraits du Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux, pour la fête de fin d'année du collège. Cette situation offre au réalisateur l'occasion de montrer des relations amoureuses entre adolescents des cités, la place éminente des filles et les jeux sur les différences de langage, entre la langue de Marivaux et celle des cités. Ce film a été salué par la critique comme renouvelant le genre du film de banlieue, auquel il appartient cependant.

Marivaux au Franc-Moisin
L'Esquive, d'Abdellatif Kechiche
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