Leçon 3 - La question du logement populaire : lotissements pavillonnaires et logement social dans l'entre-deux-guerres

2.3 L'intervention de l'Etat

Sont votées de façon accélérée en 1928, sous un gouvernement d'Union nationale, les lois Sarraut et Loucheur, rendues possible par la bonne conjoncture financière due à la politique de Poincaré. Avec la loi Sarraut, L'Etat prend à sa charge la moitié des frais d'aménagement, les lotis, regroupés en associations obligatoires de riverains qui prélèvent les taxes, surveillent les travaux, puis gèrent le quartier, payent le reste. Les individualismes juxtaposés à l'origine du lotissement constituent ainsi à la longue du collectif.

La loi Loucheur est elle aussi votée en 1928 : elle prévoit des prêts à 2 % sur une très longue durée pour l'accession à la propriété individuelle, édifiée suivant les normes du logement social, ainsi que la construction de 200 000 logements sociaux et 60 000 logements pour les classes moyennes sur cinq ans. Louis Loucheur (1872-1931) polytechnicien, industriel, élu du Nord, est alors ministre du travail et de la prévoyance sociale, dont dépend le logement social.

Les anciens combattants, les victimes de guerre, les familles nombreuses bénéficient de clauses très favorables qui les dispensent pratiquement de tout apport personnel, mesures qui lèvent les obstacles financiers qui freinaient la construction de maisons après l'achat du terrain. . Elle permet à plus de 100 000 mal-lotis banlieusards de construire en matériaux durables. Les pavillons « Loucheur »sont encore reconnaissables aujourd'hui par leur forme étroite et leurs parements de pierre meulière. Ces lois ont transformé l'allure des lotissements et les ont pérennisés, les colonies de bicoques devenant des quartiers pavillonnaires durables.

Un lotissement de Bondy vers la fin des années 1930InformationsInformations[1]

Les maisons sont construites selon les normes de la loi Loucheur, les routes sont viabilisées, les jardins clos ; le quartier a achevé son évolution.

Ces quartiers nés au hasard de la spéculation se trouvent intégrés à l'espace de l'agglomération parisienne, en quarante ans environ, avec la construction des réseaux. Cette solution consacre la défaite des premiers urbanistes : sont aménagés tels quels des centaines de quartiers de pavillons érigés sans planification aucune. Le plan Prost (1934-1939) tente de rattraper a posteriori les lotissements et de les intégrer dans le zoning esquissé alors en région parisienne. Cette solution manifeste aussi le triomphe des principes du Parti radical, pilier de la République : favoriser l'accès des couches populaires à la propriété individuelle, protéger les petits contre eux-mêmes et contre les gros qui les ont trompés, faire jouer à l'Etat son rôle tutélaire. Affaire finalement plus politique et financière qu'urbanistique, la crise des mal-lotis se résout de façon pragmatique : faire payer l'Etat et les pauvres. Ces quartiers de pavillons, improvisés sur des terrains bon marché découpés au hasard de la spéculation et des opportunités foncières, ont fixé pour longtemps la trame urbaine des communes de banlieue et sont à l'origine de la moyenne banlieue de résidence permanente. Jusqu'aux grands ensembles, qui en comblent les vides, ils sont l'essentiel de l'offre de logement populaire et leur peuplement continue jusque dans les années 1950.

Fondamental

L'épisode des lotissements de l'entre-deux-guerres offre un modèle unique dans la croissance des banlieues françaises : le découpage en parcelles est fait par un spéculateur qui ne construit pas les habitations ; le passage du bidonville temporaire au quartier de résidence permanente se fait à un rythme souple, au gré des possibilités des ménages ; la viabilisation et l'aménagement interviennent après coup à l'aide de la puissance publique poussée par les revendications des nouveaux venus mécontents. Ce croisement finalement réussi d'aspirations individuelles et de besoins collectifs non planifiés forme un moment unique où les classes populaires ont été capables d'imposer leur modèle résidentiel à des politiques qui n'en voulaient pas ; le lotissement apparaît aujourd'hui comme un âge d'or de l'édification des banlieues, celui de l'accès d'un peuple urbain, souvent d'origine provinciale, à la propriété individuelle dans les pires conditions d'improvisation, la ville croissant par l'urbanisation brusque de terrains à vocation agricole, les attributs de l'urbanité : facilité de circulation, routes, trottoirs, réseaux, transports, se mettant en place dans un second temps.

  1. Source : Carte postale, collection particulière de l'auteur

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