2.2 Le scandale des mal-lotis
Mais l'accès à la propriété pavillonnaire en banlieue se fait au milieu des pires difficultés .Les terrains, visités à la belle saison, se transforment en cloaque dès l'automne ; les écoles, les commerces, la gare , l'arrêt d'autobus sont loin . Des milliers d'honnêtes familles de prolétaires et d'employés, désireux de devenir propriétaires, campent dans la boue, trompés par les lotisseurs, ces spéculateurs si habiles à saisir les mutations de l'après-guerre. Au milieu des années 1920, l'affaire finit par faire scandale. L'inquiétude de l'opinion, de la presse, des partis politiques, de l'Eglise catholique et des réformateurs sociaux relaie l'agitation des mal-lotis, soutenus par le jeune PC (SFIC), comme en témoigne le texte ci-dessous, publié dans un journal communiste local.
Exemple :
« Garges-lès-Gonesse : les fêtes des mal-lotis.
Nous voici dans les fêtes de Noël et du jour de l'An. Tout le monde devrait pouvoir passer ce temps dans les plaisirs auxquels nous convient les anciennes coutumes. Mais pour les mal-lotis que nous sommes, il nous est impossible d'apprécier ces jours de congé si généreusement octroyés par nos patrons. Au contraire, beaucoup sont furieux d'avoir des « ponts » si fréquents. C'est que, pour les uns, c'est le terme qui est proche, et pour les autres, la lourde échéance des « routes ».Et puis, on peut réveillonner chez des copains ou aller au bal, on s'étourdit un peu, on oublie quelques heures. Mais en sortant, c'est la nuit noire, la boue où l'on patauge. Pendant ce temps, à Montmartre, ou sur les boulevards largement éclairés, les rupins font la noce et retrouvent en sortant leurs luxueuses autos devant la porte des restaurants chics illuminés de milliers de lampes, quand une dizaine de celles-ci dans notre pays ferait notre bonheur.
Voulez–vous aller passer la soirée à Paris ? Là, le plaisir est plus grand. Vous rentrerez après une demi-heure de marche dans la boue et dans la nuit, toujours aussi noire, en jurant que vous n'y retournerez plus, car les trams et les autobus ne sont pas faits pour nous. Rien n'est pour nous d'ailleurs, ni les bonnes rues éclairées, ni les moyens de transport, ni les secours si vous êtes vieux et malades, ni l'électricité, ni le gaz. Pour vous, les copains de Bellevue, l'eau n'est pas potable, les écoles sont trop petites, les dispensaires, les bibliothèques, les douches, les lavoirs inexistants dans nos pays. Le matin, on s'entasse à vingt ou trente dans des trains cahotants, sans lumière et souvent sans chauffage et le soir, après quatorze ou quinze heures hors de notre intérieur, nous avons les mêmes « distractions ». Les distractions, ici, ce sont les cabarets et c'est bien assez bon pour les ouvriers, pensent ceux qui tranquillement sortent de l'Opéra[...] »
« Garges-lès-Gonesse : les fêtes des mal-lotis », L'Aube sociale de Seine-et-Oise, n°354, 2 janvier 1926.
Complément :
Le Parti communiste français, section française de l' Internationale communiste, a été fondé au Congrès de Tours en décembre 1920, par ceux des militants qui adhèrent au modèle du parti bolchevik, comme en URSS ; avant le Front populaire, c'est une secte qui compte environ 30 000 adhérents, implantés dans les grandes entreprises, dans de rares zones rurales et , surtout, en banlieue parisienne.
Rappel :
La leçon 4 porte sur la banlieue rouge.