Leçon 2 - Croissance de la banlieue et diversification des espaces 1860-1940

Explication de document

Analyser la première politique de lutte contre les nuisances industrielles

Présentation du document

A la fin du siècle, les Parisiens se plaignent d'être empuantis par les odeurs venues de banlieue, alors que les communes de la Seine refusent de servir plus longtemps de dépotoir. Le service d'inspection des établissements classés tente en 1899 dans son rapport annuel de concilier ces intérêts contradictoires. La première politique environnementale date du Premier Empire : dans les activités visées par le décret de 1810, presque toutes sont susceptibles de produire des odeurs infectes. La liste des activités contrôlées augmente tout au long du XIX° siècle et un service d'inspection des établissements insalubres est créé à la Préfecture de Police en décembre 1863, qui contrôle les usines de Paris et de la Seine ; ce service produit un rapport annuel qui rend compte des plaintes des habitants, de leur suivi et de l'action des inspecteurs, comme ici en 1899. Or, depuis l'été 1880, la question des odeurs de Paris – c'est à dire de sa puanteur - revient en débat presque chaque été ; le ministère de l'Agriculture réunit une commission des odeurs pour examiner le problème et le débat aboutit au vote de la loi de 1894 qui rend le tout - à - l'égout obligatoire, malgré la résistance des propriétaires parisiens. Mais la puanteur estivale perdure dans la décennie suivante, attribuée pêle-mêle aux décharges, aux dépôts d'immondices et de gadoues à ciel ouvert, aux établissements classés systématiquement envoyés en banlieue, surtout Nord-Est.

Le document : un texte administratif

« Odeurs

114 plaintes fondées

Beaucoup de Parisiens seront sans doute étonnés d'apprendre que sur 523 plaintes fondées reçues à la préfecture de Police, 114 seulement, c'est à dire 21,79%, visaient l'odeur. Et encore s'agit-il le plus souvent de causes locales, ne portant pas loin et non point de ce que l'on a appelé l'Odeur de Paris, qui n'a pas été à l'ordre du jour cette année.

Quelques développements sur cette question ne seront toutefois pas inutiles ici. Et d'abord il est bien entendu que nous ne nous occupons que de ce qui concerne les établissements classés. L'auto-infection due aux fosses d'aisance, aux eaux ménagères, aux gaz des égouts, au sol, au crottin, à tous les détritus organiques jetés sur la voie publique de l'immense ville, tout cela ne nous concerne pas, mais doit jouer un rôle notable dans l'ensemble. M. Le conseiller général Landrin disait, à la commission des odeurs : « Les établissements classés ne sont pas la cause unique des mauvaises odeurs et personne ne songerait sérieusement à déloger ces usines qui constituent une part si importante de la richesse industrielle du département. ».Cet avis a été partagé par l'unanimité des membres de la commission. Rappelons tout d'abord que ces odeurs, à coup sûr désagréables, ne sont pas malsaines. Dans le quartier de la Haie-Coq, à Aubervilliers, où il y a accumulation d'usines odorantes, le personnel paraît se porter fort bien ; et les plaintes des habitants contre les industries locales sont plus rares à Aubervilliers que partout ailleurs.

Ajoutons encore que Paris et sa banlieue n'ont rien à se reprocher réciproquement. Car si la capitale peut avoir à souffrir des odeurs provenant des usines situées extra-muros, il faut reconnaître, comme l'a très bien fait ressortir un journal de banlieue, que celle-ci serait encore plus fondée à se plaindre, puisque les Parisiens envoient chez elle, pour s'en débarrasser, tous les déchets, tous les détritus dont ils ne veulent pas chez eux.

Quoiqu'il en soit, le service des établissements classés s'est préoccupé de rechercher la ou les causes de cette odeur encore indéterminée, qu'on perçoit sur quelques points de Paris, même et surtout le soir, souvent par temps calme, odeur non infecte de cirage, de matière organique chauffée, tout à fait distincte de celles qui ont une origine bien déterminée et proviennent du traitement des matières de vidange, de la cuisson des matières animales, de fabriques de vernis, etc... pour ne parler que des industries et mettre à part l'auto-infection [...].

Au contraire, un observateur est, je suppose, à la Porte de La Chapelle.Il perçoit l'odeur de Paris, qui semble venir du coté de la Haie Coq. Il se dirige vers ce quartier d'Aubervilliers, et, à mesure qu'il approche, cette odeur disparaît, ou s'est noyée pour faire place, ici, à celle des vidanges, là à celle de la fonte des graisses, etc..... Quant à l'odeur qu'il recherche, il ne la retrouve pas, ou peut-être son odorat, blasé par cette succession de sensations, ne sait plus la reconnaître là où elle existe réellement. [...].

Le superphosphate minéral sent l'odeur de Paris, mais cette odeur n'est perceptible que dans certaines conditions. Si on tient compte des milliers de tonnes en fabrication ou en dépôt - certaines usines font du 100 à 170 tonnes par jour - on comprend que cette industrie ait un coefficient important dans les odeurs de Paris. Telle est l'opinion du service d'inspection. On pourra la contester, mais le fait qu'elle s'est établie dans des esprits préalablement imbus de l'opinion contraire la rend moins suspecte.

Ajoutons, d'ailleurs, que les phosphates dégagent pendant la fabrication des vapeurs fort acides (inconvénient porté dans le décret de classement : émanations nuisibles). Il est donc naturel, à quelque point de vue qu'on se place, d'exiger dans toutes les usines une condensation efficace des vapeurs dégagées. Remarquons encore que, si le diagnostic est exact, le pronostic est rassurant. Ces usines, au nombre de dix-neuf (une dans Paris, onze à Aubervilliers, deux à Saint-Denis, trois à Ivry, deux à Vitry), rentrent dans la grande industrie et disposent de moyens puissants. [...]. »

Rapport sur les opérations du service d'inspection des établissements classés, pendant l'année 1899, présenté à M. Le Préfet de Police par M. Paul Adam, inspecteur principal, chef de service, Paris, Préfecture de police, Asselain et Houzeau, 1900, p 16-21.

Question

Quelle est la position des rédacteurs du texte, inspecteurs du service des établissements classés , vis à vis du problème des odeurs?

Question

Pourquoi les habitants d'Aubervilliers ne se plaignent-ils pas ?

Question

Quels sont les intérêts contradictoires que les inspecteurs tentent de concilier ?

Question

Que nous apprend le texte sur les rapports Paris/banlieue ?

Question

Que nous apprend le texte sur la sensibilité olfactive des populations urbaines à la fin du XIX° siècle ? sur l'hygiène dans la ville ?

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