Cours
Rappel :
La question des transports est développée dans la leçon 6.
Les populations logées varient évidemment suivant les cités, mais les sociologues qui les étudient alors retrouvent des caractéristiques communes : ces familles françaises chargées d'enfants du baby-boom, souvent migrants provinciaux, sont locataires ; les populations de rapatriés de la décolonisation de l'Empire français les rejoignent ; pas de personnes âgées, ni d'adolescents au début du peuplement. Ces familles de salariés, sont sélectionnés par les gestionnaires des cités de logement social, et non par le libre jeu du marché immobilier : autour d'une majorité d'employés et d'ouvriers, des cadres moyens et supérieurs en nombre variable suivant la politique du gestionnaire, forment ce qu'Alain Touraine appelle en 1965 « une société petite bourgeoise ». Derrière l'homogénéité apparente du peuplement, deux types de ménages se distinguent assez nettement par leur attitude vis à vis de leur nouveau logement : les familles de manœuvres et d'ouvriers non qualifiés, issues d'un habitat très vétuste, considèrent le grand ensemble comme le terme de leur itinéraire résidentiel et s'y installent définitivement, faute d'ailleurs de pouvoir envisager un autre habitat ; les familles, souvent plus jeunes, d'ouvriers qualifiés, de cadres et d'employés ne considèrent le grand ensemble que comme une étape temporaire de leur itinéraire résidentiel. La cohabitation des deux types de familles, aux aspirations différentes, produit des conflits dans l'usage des espaces privés et publics et un départ précoce des plus dynamiques.
Mais les plus pauvres, les familles très nombreuses, les populations étrangères et immigrées sont logés ailleurs : taudis des arrondissements du Nord-Est parisien , du centre de Saint-Denis et d'Aubervilliers, bidonvilles, foyers pour célibataires immigrés, hôtels meublés, cités de transit ou d'urgence ; ces logements spécifiques, avec parfois un fort encadrement de travailleuses sociales, sont explicitement destinés aux « inadaptés sociaux », qu'il faut éduquer avant de les loger dans les cités nouvelles construites pour les salariés français, suivant des méthodes expérimentées dans l'entre-deux-guerres dans les cités-jardins. Pour les migrants algériens est créée en 1956 la SONACOTRAL, société d'économie mixte contrôlée par l'Etat, qui construit des foyers pour travailleurs ; en 1963, cette politique est étendue à tous les étrangers à une époque où l'économie française a massivement recours à cette main d'œuvre. Le logement des étrangers est nettement conçu alors sur le mode de la différenciation : soit ils se logent par eux-mêmes dans le parc ancien, soit la puissance publique contribue à leur fournir des logements à part, aux normes de confort inférieures.
Les documentaires de propagande du ministère de la Construction et les premières émissions de télévision montrent le bonheur des mères de famille françaises qui quittent le taudis insalubre pour accéder au confort domestique moderne alors peu courant en France : eau courante, chauffage, salle de bains, chambres séparées pour les parents et les enfants, dans la blancheur des premiers grands ensembles, loin de la ville ancienne, de ses fumées et de ses miasmes. Au total, à l'issue de ces vingt ans de construction de ces remèdes à la crise du logement qu'ont été les grands ensembles, le recensement de 1975 montre que cet effort colossal a porté ses fruits : la quasi-totalité des logements ont l'eau courante, les trois quarts l'eau chaude, 75% des logements ont une installation sanitaire complète, WC intérieurs compris, et moins de 5% des logements sont désormais en état de surpeuplement accentué.