3.4 Loger les immigrés
Cette politique entraîne d'importantes modifications du paysage de la banlieue : les bidonvilles, qui logeaient les Portugais et les Algériens dans des conditions indignes, sont éradiqués par une politique vigoureuse à partir de 1971, et leur population relogée dans des grands ensembles sociaux ; le logement social s'ouvre de façon très volontariste, sous la pression des préfets, aux familles étrangères, qu'on espère ainsi conduire aux normes de vie urbaine de la société française ; les employeurs payent à partir de 1975 une taxe sur les salaires de leurs travailleurs étrangers pour construire de nouveaux logements sociaux ; les migrants africains célibataires, qui vivaient dans des foyers, les quittent maintenant qu'ils sont rejoints par leurs familles, souvent nombreuses.
Dans la vidéo ci-dessous, Annie Fourcaut, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris1 Panthéon Sorbonne, Benoît Bréville, docteur en histoire de l' Université Paris1 Panthéon Sorbonne et Vincent Havage, directeur de la démarche quartier de la ville de Saint-Denis (93) expliquent sur le terrain comment cet espace a successivement été occupé par un bidonville, puis par le premier bâtiment du Franc Moisin, aujourd'hui détruit pour faire place à un parc urbain (mai 2012). Cette vidéo rappelle l'histoire bousculée de cet espace : un premier quartier spontané d'immigrés espagnols l'occupe dans les années 1920 ; un grand bidonville, surtout portugais, prend sa place dans les années 1950-1970 ; le premier bâtiment du grand ensemble du Franc Moisin, construit entre 1969 et 1972, permet de reloger les premiers expulsés du bidonville ; ce premier bâtiment est détruit en 1995, et peu à peu remplacé par un parc urbain.
Les organismes qui gèrent les cités d'habitat social accueillent ces nouveaux locataires, d'autant que la loi Barre, qui est une aide que l'Etat verse directement aux organismes qui logent les familles les plus modestes, rend ainsi solvables ces ménages.
L'idée est de répartir les familles immigrées au milieu des ménages français, suivant des quotas d'environ 15%, chiffre discrètement évoqué dans les circulaires administratives. Ensuite, tout dépend de la gestion de l'attribution des logements par les bailleurs sociaux, qui conduit à des situations très contrastées et n'évite pas localement la spirale de la ghettoïsation. Le logement des étrangers et des immigrés se fait dans les parties les plus dégradées et les plus périphériques du parc, que quittent les nationaux qui le peuvent pour l'achat d'une maison individuelle en grande banlieue. Les premières violences imputables aux jeunes se produisent dans la décennie 1970-1980 : à la Courneuve en 1971, un jeune est tué au café Le Nerval ; dans la même cité en juillet 1983, un enfant algérien de dix ans est tué d'un coup de fusil par un habitant, et le quartier s'embrase. Le souci, louable, d'intégrer les immigrés dans le logement social conduit à des logiques de regroupement dans certaines communes de l'ancienne banlieue ouvrière. Paris loge dans les barres des 4000 à La Courneuve, pourvues de très grands logements, les familles chargées d'enfants des Africains salariés de la Ville de Paris. Lucien Vochel, Préfet de la région Ile de France écrit dans Le Monde du 14 septembre 1982 un article intitulé « Paris doit cesser d'éloigner ses pauvres » :
« On a par exemple débarrassé la capitale d'un certain nombre de problèmes sociaux en logeant les gens aux faibles ressources dans les grands ensembles éloignés du centre. C'est ainsi que l'Office public d'HLM de la Ville de Paris possède un patrimoine immobilier en banlieue. J'ai demandé à la Ville d'abandonner ces logements aux offices communaux ou départementaux concernés ».